Dans les sous-sols de l’ancienne prison St Paul, à la demande du service international de l’Université Catholique de Lyon nous avons transformé un souterrain en escape game permanent. Désormais, avant qu’ils ne partent en stage ou en semestre à l’étranger, les étudiants de l’UCLY devront vivre un étrange rituel qui les égarera par équipe de 8 dans un lieu tenu secret…
Sans divulgacher les énigmes qui sont proposées, nous souhaitons vous partager quelques retours sur la conception et la réalisation de ce projet original.
Une pédagogie de l’interculturalité
Il s’agit bien d’un escape game pédagogique. Ce dispositif a pour objectif de transmettre aux étudiants quelques bases de l’interculturalité selon le cadre proposé par l’Unesco, afin de les préparer à vivre, travailler, étudier dans d’autres cultures et tout simplement aller à la rencontre de l’autre.
De véritables cursus approfondis sont proposés aux élèves qui souhaitent étudier ces questions. Mais l’université souhaitait que chaque élève, quelque soit son cursus ou intérêt pour le sujet, puisse être sensibilisé au sujet au cours d’une session de quelques heures.
Nous avons donc conçu une approche en deux temps : un défi de deux heures à résoudre en équipe sous forme d’escape game immersif, complété d’un temps de relecture et d’apports avec un enseignant spécialiste de la question. En effet, si un escape game permet d’éprouver et révéler des compétences, il n’est pas un espace de transmission ou d’analyse. Il faut donc compléter le moment expérientiel et immersif par un travail d’explication et d’appropriation.
La gamification et ses limites
Parler d’escape game impose certaines contraintes. Ce doit être ludique avec des énigmes à résoudre, il doit y avoir un enjeu collectif à atteindre, avec des étapes permettant de progresser en se déplaçant dans l’espace physique. En utilisant la scénographie naturelle d’un ancien tunnel entre deux parties de la prison nous n’avons pas eu besoin de reconstruire de décors, simplement d’aménager l’espace et de le mettre en cohérence avec une histoire qui conduit le défi. Très vite les participants utilisent les codes des escapes games (se rajoutant par exemple des contraintes de temps qui n’existent pas) et on reconnait les habitués qui sont très à l’aise avec certains types d’épreuves (demandant de l’observation pour l’obtention de codes). Ils plongent dans les énigmes et cherchent à les résoudre au plus vite avec l’aide d’un game master qui les observe par des caméras de vidéo-surveillance et communique avec eux. Ils vivent donc cette expérience de manière ludique et collaborative, par contre ils n’ont aucun recul sur ce qui leur est proposé, leur attention étant entièrement captée par le prochain défi. Ce n’est donc pas le lieu de la compréhension ou de l’analyse. Il faut les remettre dans un espace physique de transmission : en posture assise, faisant face à un enseignant, avec un contrat de temps explicitement long pour qu’ils entrent à nouveau dans l’écoute et l’analyse.
Une expérience de l’interculturalité
Pour concevoir le parcours, nous avons conduit plusieurs ateliers avec les équipes de l’UCLY pour comprendre les étapes et mécanismes de l’expérience inter-culturelle. Nous avons eu la chance de collaborer étroitement avec des enseignants-chercheurs linguistes et ethnologues. Nous avons ensuite conçu la progression du jeu de manière à faire vivre des expériences similaires :
– Rencontrer l’étrangeté de l’étranger : par les sens, par la langue et l’écriture, par les postures, dans les codes sociaux et graphiques.
– Se confronter à d’autres récits et représentations du monde, qu’il s’agisse de représentations de l’espace ou de rituels funéraires.
– S’interroger sur la complémentarité de nos personnes et le nouveau qui nait du métissage.
– Et enfin se découvrir d’avantage soi-même dans la rencontre de l’autre.
Nous espérons réaliser ainsi une sorte d’ancrage expérientiel qui permettra au jeune, lorsqu’il se retrouvera dans des situations inter-culturelles réelles similaires, de mieux en tirer partie et d’être capable de les analyser.
Ce travail sur le contenu, conduit en situation distantiel pour cause de confinement, fut l’occasion d’échanges et de rencontres passionnantes. Nous travaillions ainsi avec Fabio Armand, anthropologue neurocognitif (et spécialiste des loups garous car il en faut…), et avec Laurent Denizeau, anthropologue du religieux et du corps (notamment).
Tangible et numérique
L’essentiel des énigmes sont tangibles et s’appuient sur la manipulation d’objets. Nous avons eu recours à quelques dispositifs numériques pour assurer la progression dans les différentes étapes (et l’ouverture de portes led), pour valoriser des médias et pour faciliter le rôle du maitre de jeu qui intervient uniquement à distance (à part le briefing initial) depuis un poste de contrôle.
A cette occasion, nous avons pu hacker un téléphone, une malle, un bol tibétain et utilisé un vieil équipement de mesure scientifique qui était stocké dans ce sous sol…
Le défi de la médiation
Nous avons pu constater que les comportements des équipes sont extrêmement différents suivant les personnalités et les publics. Il est dès lors délicat de trouver un juste équilibre dans la complexité des énigmes. Si celles-ci sont trop simples, il n’y a pas d’enjeu, dès qu’elles deviennent complexes certains équipes bloquent vite et se démotivent. Le maitre de jeu a donc un rôle clef pour donner des indices et ajuster la difficulté des épreuves. Et il doit le faire en intervenant le moins possible.
Cette dimension là et la narration initiale qui lance les équipes vont donc beaucoup évoluer avec la pratique de l’escape game qui devra aussi s’améliorer pour passer de prototype opérationnel à dispositif permanent.
Une équipe de choc
Nous avions constitué une belle équipe pour concevoir et prototyper ce dispositif : merci à Raphaëlle Garnier , Julie Le Hellard, Margot Buisson, Kevin Vennitti , Stéphane Renard, Pierre-Gilles Levallois, Geneviève et Lisa Levallois, Thierry Lyonnet, Marie-Claire de Lavenère pour leurs contributions et leur inventivité…
et à toute l’équipe de L’UCLY, en particulier des départements relations internationales et formation humaine : Annick Rivet, Franck Violet, Laurent Denizeau, Fabio Armand, Ali Mostfa, Delphine Burguet…